ALLEMAGNE
Depuis 1945 et la mise sous
tutelle américaine du renseignement ouest-allemand, les stations d’écoutes ont
proliféré sur le territoire allemand, à commencer par les zones jouxtant la
frontière avec l’Allemagne de l’Est. Paradoxalement, ce sont les archives de la
Stasi (police politique est-allemande) qui nous informent le mieux des
agissements de la NSA dans cette région du monde. En effet, la Stasi avait réussi
à recruter deux fonctionnaires de la NSA installés en Allemagne. Les documents
volés et transmis par ces agents doubles ont été retrouvés à la chute du régime
au milieu de l’immense documentation domestique de la Stasi.
Epoque différente mais mœurs égales, aujourd’hui ce sont les archives Snowden qui nous apprennent que Washington
dispose de deux centres d’écoutes au sommet de l’ambassade des États-Unis à
Berlin et du consulat à Francfort. Les équipements d’interception sont gérés
par l’unité secrète du « F6 », une équipe mixte du Special Collection
Service, constituée d’agents de la CIA et de la NSA. À Wiesbaden, la NSA
dispose d’une vaste installation appelée le Centre technique européen (ETC) et,
à Griesheim près de Damstadt, elle dispose d’un centre spécifiquement dédié aux
écoutes militaires. Ce dernier bâtiment est certainement le plus important
d’Europe continentale et répond au doux nom de Centre européen de cryptologie
(ECC). Quand les documents Snowden ont révélé qu’outre la surveillance euro-orientale
et moyen-orientale, la NSA espionnait des dirigeants politiques allemands –
dont la chancelière Angela Merkel elle-même – une vague de protestations a
gagné le pays. Suite à ce scandale diplomatique, le BND, les services secrets
allemands, a envoyé une délégation à Washington pour essayer de négocier un
pacte de non-agression réciproque. En vain. La chancellerie allemande a ensuite
envoyé une liste de douze questions précises et circonstanciées sur les
activités de la NSA en Allemagne, sans obtenir de réponse là non plus. Excédés,
les dirigeants allemands se sont alors résolus à arrêter un fonctionnaire de la
CIA qui avait infiltré leurs services et renseignait l’agence américaine sur
l’état des investigations en cours à propos des activités d’espionnage de la
NSA. Les enquêteurs ont découvert dans son ordinateur une application très
perfectionnée de cryptographie qui s’active en consultant simplement la météo
de New York. Plus grave, ils ont découvert 218 documents secrets du BND.
Quelques jours plus tard, les autorités allemandes ordonnaient au chef
d’antenne de la CIA de quitter l’Allemagne.
Espionnage des réseaux
téléphoniques et satellitaires
Un document Snowden publié en
septembre 2014 établit que le réseau public allemand Deutsche Telekom a été
largement infiltré par la NSA. Un prestataire régional, NetCologne, est
notamment visé ; ce qui laisse à penser que l’agence effectue ses
interceptions depuis le territoire allemand lui-même. Néanmoins, les
responsables de Deutsche Telekom n’ont pas réussi à identifier les failles de
sécurité ayant permis de pirater leur réseau.
En mars de cette année, on avait
déjà appris que trois opérateurs satellites allemands (CETel, IABG et Stellar
PCS) étaient espionnés par l’agence américaine et sa consœur britannique du
GCHQ. Elles tiennent ainsi à jour la liste des responsables techniques de ces
trois entreprises et se proposent de les « tasker », c’est à dire de
les surveiller de très près.
Grâce au programme Treasure Map
(« la carte au trésor » en français) les services secrets des deux
pays tentent par ailleurs d’établir une cartographie mondiale et exhaustive
d’internet. Plus grave encore, comme le soulignait un ingénieur en chef de
Stellar PCS, le 14 septembre 2014 dans les colonnes de The Intercept, le programme pourrait servir « à couper
internet dans tous les pays d’Afrique dont l’accès au réseau est assuré par les
satellites de l’entreprise » ! Christian Steffen, PDG de Stellar,
s’est déclaré extrêmement choqué. Selon lui, cette surveillance est due au fait
que ses clients communiquent par des liaisons satellitaires directes, et non
par des câbles sous-marins, ce qui les place à l’abri de la surveillance
traditionnelle pratiquée par la NSA.
TURQUIE
En septembre 2014, Der Spiegel publie plusieurs documents
issus des archives de Snowden, qui prouvent l’intensité des relations secrètes
entre la NSA et le gouvernement turc. Bastion avancé de l’Occident pendant la
guerre froide, la Turquie héberge de longue date des bases militaires et des
stations d’interceptions électroniques américaines. Avant leur (très récent)
retour en odeur de sainteté grâce à leur lutte contre Daesh (EIIL), les
indépendantistes kurdes du PKK ont été largement espionnés par la NSA. En
effet, cette dernière a transmis pendant des années, quasiment en temps réel,
les données de géolocalisation et le contenu des communications de combattants
du PKK à l’armée turque. Un document de la NSA daté de 2007 et classé Top
Secret se félicite d’ailleurs que les « renseignements
utiles [aient] permis la neutralisation ou la capture de douzaines de militants
du PKK l’année dernière ».
En janvier 2012, l’exécutif
américain s’est proposé de renforcer cette collaboration en livrant des
logiciels de reconnaissance vocale et du matériel d’écoute aux Turcs. A cette
occasion, le responsable de la NSA en Turquie (SUSLAT) a assuré sa hiérarchie
de la bonne coordination d’une cellule opérationnelle mêlant analystes
américains et turcs. Dans le cadre de ce partage binational des tâches et des
informations, les autorités turques s’engagent à fournir à la NSA les
communications russes qu’elles interceptent. Conversations russes contre
conversations kurdes… Le marché du renseignement, par définition, est
international.
Reste que derrière les amitiés de
façade, la Turquie est également une cible pour la NSA. En effet, l’agence a
réussi à espionner des dirigeants turcs en passant à travers les failles d’un
système informatique. Elle a également infiltré l’ambassade de Turquie à
Washington ainsi que ses locaux à l’ONU. Grâce aux programmes POWDER et BLACKHAWK, le GCHQ et la NSA ont pu suivre, entre autres, les
déplacements et les communications du ministre des finances, Mehmet Simsek, et
du ministre de l’Énergie. Un mémo secret datant d’août 2009 détaille la
surveillance des ministres turcs réunis à Londres pour préparer le sommet du
G20 à Pittsburgh le 24 septembre de la même année. Il s’agissait notamment pour
les Britanniques d’évaluer quelle était la position turque sur les projets de
réforme du système financier international.
Témoignage ultime de la défiance
des Américains à l’égard de « l’allié » turc, un mémo datant du 15
avril 2013 fait état de possibles connexions entre les services secrets turcs
du MIT et ceux iraniens du VEVAK.
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