lundi 30 juin 2008

Renseignements stratégiques pour tous

La mise à disposition d’informations du plus grand intérêt sur certains sites web permet aux esprits bien faits de deviner d’entrevoir, de mieux comprendre la marche du monde. Pour ce qui concerne le domaine obscur et secret de l’espionnage, jamais autant de données aussi accessibles ne nous ont permis de trier intox, propagande et information significative. Outre les sites de référence comme Fas.org et cryptome.org, des dizaines de sites et de blogs s’avèrent d’une grande utilité. Prenons l’exemple de thespywhobilledme.com qui nous donne une leçon pratique d’Osint à portée de tous.
Curieux de voir ceux qui s’intéressaient aux données confidentielles qu’il diffusait, l’auteur du site regarde les adresses IP de ses visiteurs. Il repère ainsi une entreprise dont il n’avait jamais entendu parler, Blackbird Technologies. Passant au crible le site vitrine de l’entreprise, l’auteur de thespywhobilledmeon découvre, grâce à ses capacités d’analyse, une masse d’informations qui vont lui donner une vision très précise des activités de son mystérieux visiteur. D’abord le fait que la plupart de ses employés sont habilités au plus haut niveau de secret par le gouvernement. De plus la firme a des bureaux en Virginie près de la CIA et de la NSA, ainsi q’en Floride près du commandement des forces spéciales (SOCOM).
L’activité de l’entreprise tourne autour des dispositifs électroniques de camouflage de communications, de transmission et d’interception d’émissions GSM et satellite. En effet, des spécialistes sont demandés pour les logiciels Windows mobile et Symbian. Justement le genre de préoccupations de la direction technique de la CIA à quelques kilomètres de là.
Plus intéressant encore, l’entreprise réalise de l’analyse de données géographiques, financières et de comportement pour identifier les activités subversives, préoccupation du Socom. Autre travail sensible, les communications clandestines par satellite à bas orbite (Leo) et les programmes de géolocalisation. Voilà une des entreprises les plus secrètes des Etats-Unis percée à jour par un simple amateur, certes perspicace qui s’est empressé de publier ses conclusions sur son blog.
Aujourd’hui après cet exercice révélateur dont la grande presse s’est fait écho, les dirigeants de Blackbird Technologies ont censuré leur site. Reste que se pose toujours ce problème aigu, le gouvernement peut-il sans inconvénients « privatiser » des missions hautement sensibles ? Comment une entreprise privée comme Blackbird Technologies peut-elle contrôler de fait des activités de renseignements des plus stratégiques du gouvernement américain ? Un problème délicat posé par Tim Shorrock, auteur de The secret world of intelligence outsourcing qui déplore que d’anciens agents secrets profitent de leurs contacts pour signer des contrats juteux avec les organismes publics. Sur un budget de 60 milliards de dollars pour le Renseignement, les entreprises privées en ramassent 45, fournissant matériels, logiciels, services et main d’œuvre. Des entreprises comme Man Tech International ou Abraxa se chargent d’équiper le champ de bataille du XXI° siècle de tous les moyens nécessaires d’information et d’aide à la décision (Net centric Warfare). La guerre devient l’affaire de grandes entreprises privées.

lundi 23 juin 2008

S’informer pour gouverner

La découverte récente du programme nucléaire clandestin de la Syrie doit beaucoup aux nouvelles pratiques de traitement et d’analyse de l’information ouverte diffusée publiquement. Nommé OSINT (Open Source Intelligence) ce traitement des sources ouvertes mobilise l’avant-garde des services de renseignements US malgré certaines résistances. Un rapport du Congrès américain a souligné la nouveauté et l’importance de ce nouveau domaine.
Pendant longtemps l’information ouverte a été considérée comme de seconde classe, rien ne valant l’information secrète surtout si elle était obtenue par des écoutes bien placées ou mieux par un agent secret introduit dans la place pour surveiller. C’est ce type de données qui avait le coefficient le plus élevé de confidentialité. « Top secret aux Etats-Unis », « Très secret défense » en France pour protéger les sources et les méthodes d’acquisition. De plus la circulation de ces documents est strictement limitée à ceux qui ont la nécessité de les connaître grâce à des dispositifs complexes (SCI) qui compartimentent l’information et la protège. En somme plus l’information était difficile à obtenir et secrète, plus sa valeur était considérée comme importante.
La situation commença à changer au cours de la seconde guerre mondiale au moment où le gouvernement américain obtint de précieux renseignements grâce à l’écoute des grandes radios internationales. Enregistrées et traduites par un organisme spécialisé, le FBIS, les données recueillies furent d’une immense importance pour le gouvernement américain à tel point qu’il fut intégré à la CIA.
Pendant la guerre froide, le FBIS alimenta les kremlinologues de la CIA en données brutes sur ce que les media sous influence soviétique laissaient apparaître des évolutions de l’empire stalinien. La chute du mur de Berlin priva le FBIS de son fonds de commerce mais les enquêtes parlementaires chargées de remédier aux lacunes constatées après le 11 septembre 2001 mirent en évidence l’importance d’un traitement et d’une analyse de l’information diffusée par les media traditionnels et Internet. C’est ainsi que naquit le DNI Open Source Center dont le site est réservé au gouvernement américain et qui diffuse l’information qui lui semble avoir une importance stratégique, classée par zone géographique et par thématique. Ainsi un service Internet rend compte des activités de Kim Jong Il, le dirigeant nord-coréen, un autre suit l’activité de la Chine au Tibet et même la progression de la grippe aviaire. Le rôle fondamental de l’OSINT est décrit avec beaucoup de clarté par le magazine Forbes qui souligne l’importance de l’activité de Robert Steele, le patron du site oss.com, grand promoteur de ce type d’activité.
Le directeur de l’OSINT américain Douglas Naquin dispose de plusieurs milliers d’agents qui utilisent les dernières technologies de traitement de l’information (traduction automatique, voix-texte, analyse sémantique). 300 sites de l’Islam radical sont suivis en permanence, le centre a accès à 20000 télévisions du monde entier, des chiffres qui donnent le vertige.
Les experts s’accordent aujourd’hui à estimer que 80 à 90% de l’information stratégique utile aux gouvernements existe dans les sources de l’OSINT.

Il arrive que par certaines indiscrétions le public accède à des échantillons complets de ce travail confidentiel comme par exemple un rapport exhaustif de l’Open Source Center sur les relations entre la Syrie et la Corée du Nord où l’on se rend compte que l’intégralité des media du Moyen-Orient et de la Corée du Nord sont suivis en temps réel !

lundi 16 juin 2008

La CIA et le web 2.0

Suite aux cuisants échecs de la communauté du renseignement américain, le 11 septembre 2001 et l’évacuation de l’arsenal militaire de Saddam Hussein, les réformes en profondeur commencent à porter leurs fruits. Après avoir conçu un Wikipedia secret – Intellipedia -, la CIA travaille sur des réseaux sociaux collaboratifs sur le modèle de Facebook.
Contacté, le Président de Facebook a refusé d’apporter son aide aux espions de peur d’être assimilé à eux et de voir des pays lui fermer la porte au nez. La
Direction Nationale du Renseignement a trouvé son propre chef d’orchestre en la personne de Mike Wertheimer. Son titre : « assistant du directeur du renseignement national pour les questions de transformation analytique et de technologie. » Son rôle réel : ouvrir le monde fermé de l’espionnage aux dernières pratiques du web 2.0, faire travailler ensemble les cerveaux des services de renseignements pour améliorer leurs analyses et les rapports qu’ils livrent au gouvernement
A plus de 50 ans, Wertheimer n’est pas un collégien ; ses 20 ans de pratique à la NSA dans le cryptage de messages secrets n’ont pas entamé son enthousiasme.
Une obsession l’habite, éviter que l’atroce surprise du 11 septembre ne se reproduise uniquement parce que les informations critiques seraient mal partagées, mal évaluées. Cette obsession, il la partage avec
Tom Fingar, responsable de l’analyse stratégique qui a approuvé la création d’une Bibliothèque Nationale du Renseignement où toute la production des services sera accessible sur justification. Autre innovation, A Space, sur le modèle de MySpace et Facebook, permettra aux espions de se lancer des alertes, des demandes d’aide sans passer par les canaux officiels. Bien entendu, de semblables pratiques inquiètent les cadres supérieurs soucieux de ne pas mettre à mal la hiérarchie et les habitués à l’information "compartimentée". Autre préoccupation, le risque d’imprudence sur ces nouveaux réseaux, la diffusion des données permettant d’identifier une source très secrète.
Heureusement la nouvelle vague d’agents secrets s’est emparée avec intérêt de ces
nouveaux outils. Wertheimer a déjà remarqué que les analystes les plus brillants ne se contentent pas des idées reçues, ils font circuler leurs travaux et sollicitent des avis sans se préoccuper des hiérarchies.
A l’extérieur de la CIA, un soutien discret à ces initiatives se fait jour avec des structures comme la
National Security Alliance qui fait le pont avec la société civile.

lundi 2 juin 2008

Le secret des secrets

Aux Etats-Unis, le plus haut niveau de secret est réservé aux mesures prévues en cas de conflit nucléaire mondial. Il s’agit d’assurer la COG (Continuité du Gouvernement). Un stratège formé par la RAND Corporation a défini ce concept pour Reagan. Il s’agit d’Andrew Marshall, l’éminence grise de Rumsfelf et de Dick Cheney, l’homme qui a fait croire à Reagan que les Russes envisageaient sérieusement une attaque nucléaire sur Washington. Yoda (son surnom au Pentagone) a pu pendant des années organiser des simulations d’attaques nucléaires avec transports en avion, PC de crise souterrains. Ces articles ont vu Rumsfeld plus soucieux de se venger des Russes que de reconstituer les centres de commandement. L’histoire serait anecdotique si cette joyeuse équipe que Bush père appelait « les cinglés du sous-sol » n’avait pas reçu de Bush fils les pleins pouvoirs pour lancer l’intervention américaine en Irak. A partir d’un organisme top secret du Pentagone nommé Office of Net Assesment (ONA), Marshall irrigue les recherches sur la militarisation de l’espace, les menaces terroristes et le changement climatique. Dans un de ses rares interviews, Marshall annonce trois défis pour le Pentagone : d’abord un défi de renseignement stratégique qu’il résume ainsi « savoir à quelles drogues l’ennemi carbure ». Ensuite réussir l’assemblage les armes de précision et les systèmes de guidage qui les informent. D’une manière plus générale, la coordination sur le terrain des forces engagées avec un niveau de précision jamais atteint ; cette coordination intégrant les robots militaires, avions sans pilotes ou tanks robotisés pouvant se faufiler dans les rues d’une ville.
Autant de préoccupations qui s’intègrent dans un effort constant de militaires américains de disposer d’une prospective active. Comment s’étonner alors que Marshall et son ONA se préoccupent beaucoup aujourd’hui des
conséquences stratégiques du bouleversement climatique.
Une citation « L’historien, Steven Leblanc a montré que la guerre pour les ressources était la norme il y a trois siècles. Quand des conflits de ce type éclataient 25% des adultes mâles périssaient. Quand des changements brutaux de climats vont nous frapper, l’état de guerre peut être un élément permanent de la vie. »