jeudi 9 avril 2015

L’opposition anti-NSA du printemps 2015

Les révélations d’Edward Snowden sur les abus de la NSA dans la surveillance massive mise en place ont fait un tort considérable aux entreprises américaines de l’Internet. Apparaissant comme les complices plus ou moins passifs de la NSA, Google, Yahoo, Apple et les autres ont subi une forte dégradation de leur réputation, notamment à l’étranger, ainsi que la perte de confiance de beaucoup de leurs utilisateurs. Conséquence concrète : la société d’étude Forrester estime la perte de chiffre d’affaires à 180 milliards de dollars pour 2016, somme qu’elle a révisée début avril [1]. [revoir ref en note]
Une situation insupportable qui explique que, depuis février 2015, une offensive tout azimuts a été lancée par les géants du secteur. Tout a commencé par un vif échange entre le patron de la NSA, Mike Rogers, et le responsable de la sécurité de Yahoo, Alex Stamos. En février 2015, alors que l’assistance somnole lors d’un congrès de la vénérable fondation New America, le patron de la NSA se lance dans un vigoureux plaidoyer pour que les services secrets américains puissent avoir le droit d’intercepter les mails cryptés des utilisateurs d’Internet. Stamos, prenant la balle au bond, interroge alors son interlocuteur : « Si je comprends bien, vous voulez que nous introduisions dans nos logiciels de cryptage des défauts qui permettent au gouvernement américain de les lire sans difficulté ? » Mike Rogers est surpris par la violence de cette attaque, alors qu’il ne faisait que reprendre une position déjà exprimée par le ministère de la Justice et du FBI. Il se contente de bredouiller : « C’est votre manière de l’interpréter. » « Non, répondit Stamos, tous les cryptographes du monde sont d’accord pour dire qu’on ne peut introduire de portes dérobées (backdoors) dans un logiciel de cryptographie. Cela revient à percer un trou dans un pare-brise ! » Sur sa lancée, Stamos souleva un problème encore plus brûlant pour la NSA : « Si nous devions fabriquer des produits qui donnent une clé d’accès au gouvernement américain, est-ce que vous estimez que nous devrions, sachant que nous avons 1,3 milliard d’utilisateurs dans le monde, fournir ce même service au gouvernement chinois, au gouvernement russe, à celui d’Arabie saoudite[2] ? » Quelques semaines après ce dialogue tonique, Stamos annonçait fièrement que Yahoo mettrait sur le marché fin 2015 une application de sécurité permettant à ses utilisateurs de bénéficier d’une communication très sûre[3].
Apple, considéré comme trop soumise au gouvernement, ne tarda pas à emboîter le pas à ses concurrents. Son P-DG Tim Cook, dans un entretien, a rappelé avec vigueur : « Personne ne doit accepter que le gouvernement, une entreprise ou qui que ce soit, puisse accéder à nos informations personnelles. C’est un droit de l’homme fondamental, nous avons tous droit à une vie privée et nous n’y renoncerons pas[4]. » Et l’entreprise d’annoncer que l’application pour téléphonie mobile IOS 8 bénéficierait d’un cryptage par défaut.
Le 25 mars 2015, l’union des géants de l’Internet et des associations de défense des libertés se concrétise au sein d’une association nommée Reform Government Surveillance Coalition. Ses membres ont envoyé une lettre au président Obama et au directeur de la NSA pour mettre en cause le statu quo et affirmer l’urgence d’une réforme par le Congrès. La lettre demande une « fin claire et effective des pratiques de surveillance globale » et la mise en place d’une transparence effective des pratiques du gouvernement et des entreprises pour ce qui concerne la surveillance de ces communications[5].
Parfaitement coordonné avec ses collègues, le P-DG de Google s’est également posé en défenseur intransigeant du principe de non-interférence du gouvernement dans les activités d’Internet. Eric Schmidt a d’abord rappelé que la plupart des gouvernements du monde étaient hostiles à la liberté d’expression et que les bientôt 6 milliards d’utilisateurs d’Internet n’ont pas confiance en leurs gouvernants et ont besoin d’un moyen de communication et d’expression libre, ce que Google soutient avec force. Schmidt a ensuite fermement contesté la pratique du gouvernement américain qui « conserve des données sur 300 millions d’Américains afin d’identifier cinquante terroristes potentiels et d’en trouver un qui se révèle ne pas être terroriste[6] ». Autant les demandes d’information d’une autorité judiciaire sont acceptables – elles concernent environ 10 000 cas par an –, autant la surveillance généralisée lui apparaît comme un abus flagrant.
Outre la dégradation de leur image de marque à l’étranger et les revers commerciaux essuyés, les entreprises américaines du secteur craignent par-dessus tout que les gouvernements étrangers prennent des mesures pour favoriser leurs industries nationales. C’est déjà le cas en Chine, où se prépare une loi qui vise à interdire de fait les matériels et services non chinois. Une initiative jugée suffisamment sérieuse pour qu’Obama ait interpellé publiquement son homologue chinois.
Ainsi donc, alors que le gouvernement américain envisage sérieusement d’arrêter une surveillance massive inefficace, ruineuse et contraire aux libertés, le PS et l’UMP rivalisent de zèle pour légaliser en France cette pratique odieuse.



[1] Larry Dignan, “Snowden PRISM fallout will cost U.S. tech vendors $47 billion,

less than expected”Zdnet,2 avril 2015
[2] Andrea Peterson, « The clash », The Washington Post, 23 février 2015.
[3] Andrea Peterson, « Yahoo’s plan », The Washington Post, 15 mars 2015.
[4] Allister Heath, « Entretien avec Tim Cork », The Telegraph, 27 février 2015.
[5] Reform Government Surveillance Coalition, « RGS joins broad coalition in urging Congress to reform the nation’s surveillance programs to end bulk collection and provide needed transparency », 25 mars 2015, .
[6] Discours à l’American Entreprise Institute, 18 mars 2015.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un bon papier pour mieux reflechir en France.