lundi 26 mars 2018

Création du fichier "S" en 1942


L’Occupation, derniers scoops découverts aux Archives par Antoine Lefébure.

Pendant toute la période de l’Occupation, le régime de Vichy a utilisé une gigantesque bureaucratie secrète chargée d’ouvrir le courrier et d’écouter les conversations  téléphoniques des Français de la zone libre.
Un secret bien gardé dévoilé aujourd’hui dans le livre : Conversations secrètes sous l’Occupation (Tallandier, mars 2018), grâce à l’ouverture des archives les plus secrètes de la période 1940-1945. Jusqu’à récemment, il n’était fait que de brèves  mentions d’un obscur organisme de sondage de l’opinion publique nommé très banalement Service des Contrôles Techniques (SCT). Nous savons que sous ce sigle travaillait dans chaque préfecture près de 5000 fonctionnaires souvent cachés dans les postes ou les centraux téléphoniques.
Une tradition bien établie
Reprenant l’exemple royal du « Cabinet Noir », dès la guerre de 1914-1918, le gouvernement de l’époque  a soumis la correspondance postale à un contrôle strict et ce, afin de prévenir les indiscrétions des soldats au front, de surveiller leur moral et d’intercepter des messages suspects de services d’espionnage étrangers. Le « Contrôle postal » s’appliquait au courrier qui était dûment tamponné « ouvert par le contrôle » et il concernait aussi les télégrammes et les communications téléphoniques.
C’est tout naturellement que cet organisme reprit du service en 1939, à l’ouverture des hostilités contre l’Allemagne. Après la défaite et l’Armistice, le Maréchal Pétain décida de maintenir et de renforcer le SCT afin de surveiller les agissements de la population et les variations d’une opinion publique qui ne s’exprimait plus, étant donné la censure de la presse. L’Amiral Darlan, président du Conseil , autoritaire et paranoïaque fut le premier à faire du SCT un auxiliaire précieux des forces de police ; comprenant très rapidement que l’efficacité d’une telle activité reposait sur l’instauration d’un secret rigoureux, il multiplia les circulaires pour menacer de sanctions les plus lourdes les fonctionnaires qui évoqueraient l’existence d’une telle activité. Les dirigeants des PTT, contraints de collaborer à ces interceptions, firent de même auprès de leurs troupes guère enthousiasmées par cette nouvelle contrainte. A la fin de l’année 1941, les préfets communiquaient le fichier des personnes qu’ils voulaient faire surveiller, le gouvernement en faisait autant, chaque espion du SCT interceptait en moyenne 150 lettres par jour. Régulièrement les « affaires » découvertes étaient communiquées aux services de police. Il pouvait s’agir de délits de droit commun, marché noir, avortements, d’opinions révélant une sensibilité communiste ou gaulliste, de réfugiés juifs. Bien entendu, il n’était jamais fait mention de l’origine de ces interceptions qui étaient qualifiées pudiquement de l’expression « de source sûre ».  C’est ainsi que la police dont les effectifs et les moyens étaient en forte croissance, obtinrent des résultats notables dans la chasse aux ennemis de « l’ordre nouveau ». A ce moment-là, beaucoup de victimes de la répression commencèrent à avoir l’impression diffuse d’avoir été dénoncées ; se constitue ainsi la légende d’une armée de dénonciateurs, voisins ou concierges, en liaison avec la police et les Allemands. De fait, c’était l’indiscrétion d’une lettre qu’on croyait confidentielle, une mention imprudente dans une conversation téléphonique qui précipitait la catastrophe.



Création du ficher S par Bousquet.
A la tête du gouvernement en avril 1942, Laval nomme René Bousquet , secrétaire général pour la police ; l’homme, encore jeune, a déjà une lourde expérience des activités de police, de la gestion des fichiers et des interceptions. Il a travaillé pour plusieurs ministres de l’Intérieur de la IIIe République.
Très rapidement Bousquet donne une ampleur unique aux interceptions postales et téléphoniques. Il obtient de Laval que le SCT soit directement rattaché au ministère de l’Intérieur alors qu’il était traditionnellement rattaché au ministère de l’Armée. Il peut alors utiliser cette activité sans contrainte, s’en servant même pour surveiller commissaires et policiers qui seraient tentés de trahir. Expert des fichiers, il réussit à convaincre Laval de créer un nouveau fichier, très sélectif, dans lequel ne seraient présents que les individus constituant un danger réel pour le gouvernement français de Vichy. Et de donner un nom à ce fichier, « Fichier S » comme sûreté de l’état. Chaque personne fichée S voit son courrier et son téléphone systématiquement contrôlé ; c’est le même fichier S qui est aujourd’hui utilisé, représentant 20000 suspects dont beaucoup d’islamistes radicalisés.

Des dégâts difficiles à évaluer.
Combien d’arrestations, combien de déportations peuvent être imputées aux interceptions postales et téléphoniques de Vichy ? La réponse est difficile, en lisant les comptes rendus du SCT par département, on se rend compte que les préfets mentionnent une cinquantaine d’affaires en cours par mois.
Beaucoup d’archives de cette activité honteuse ont été détruites mais il en reste suffisamment pour être persuadé que le Service des Contrôles Techniques, surtout à partir de 1942, a joué un rôle de premier plan dans la répression de la Résistance et dans l’arrestation des juifs. Pire encore, les Allemands ont laissé le régime de Pétain exercer ce contrôle parce qu’ils recevaient régulièrement le résultat de ces interventions. De la même manière, ils suivaient les procédures judiciaires, assistaient parfois aux interrogatoires et n’hésitaient pas à rentrer dans les prisons françaises pour s’emparer de détenus qu’ils considéraient comme des « ennemis de l’Allemagne ».

Une fin qui n’en est pas une.
A la Libération, les autorités ont emprisonné trois dirigeants du SCT particulièrement compromis avec Laval. Le reste du personnel a continué son travail pour le nouveau gouvernement qui lui a donné l’ordre de s’intéresser à une « cinquième colonne nazie » et aux communistes. De nombreuses nouvelles embauches ont été faites. Les dirigeants collaborateurs n’ont pas été inculpés et ont retrouvé la liberté car la tenue d’un procès aurait eu pour conséquence la levée du secret sur une activité que la France libre considérait comme essentielle pour garantir l’ordre républicain.
En 1946, les restrictions budgétaires entrainèrent des licenciements massifs dans cette activité qui avait perdu une grande partie de sa raison d’être. Il faudra attendre la guerre d’Algérie et la volonté de de Gaulle de surveiller au plus près l’activité des partisans de l’Algérie française et celle du FLN pour que Debré installe le nom de Groupement interministériel de Contrôle, une activité d’écoutes téléphoniques conséquente.
Le GIC se retrouvera au cœur de plusieurs scandales de la Ve République et sera instrumentalisé par François Mitterand pour écouter des centaines de personnalités.


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