Pendant toute la période de l’Occupation, le régime de Vichy
a utilisé une gigantesque bureaucratie secrète chargée d’ouvrir le courrier et
d’écouter les conversations téléphoniques
des Français de la zone libre.
Un secret bien gardé dévoilé aujourd’hui dans le
livre : Conversations
secrètes sous l’Occupation (Tallandier, mars 2018), grâce à
l’ouverture des archives les plus secrètes de la période 1940-1945. Jusqu’à
récemment, il n’était fait que de brèves
mentions d’un obscur organisme de sondage de l’opinion publique nommé très
banalement Service des Contrôles
Techniques (SCT). Nous savons que sous ce sigle travaillait dans chaque
préfecture près de 5000 fonctionnaires souvent cachés dans les postes ou les
centraux téléphoniques.
Une tradition bien établie
Reprenant
l’exemple royal du « Cabinet Noir », dès la guerre de 1914-1918, le
gouvernement de l’époque a soumis la
correspondance postale à un contrôle strict et ce, afin de prévenir les
indiscrétions des soldats au front, de surveiller leur moral et d’intercepter
des messages suspects de services d’espionnage étrangers. Le « Contrôle postal » s’appliquait au
courrier qui était dûment tamponné « ouvert par le contrôle » et il
concernait aussi les télégrammes et les communications téléphoniques.
C’est tout
naturellement que cet organisme reprit
du service en 1939, à l’ouverture des hostilités contre l’Allemagne. Après
la défaite et l’Armistice, le Maréchal Pétain décida de maintenir et de
renforcer le SCT afin de surveiller les agissements de la population et les
variations d’une opinion publique qui ne s’exprimait plus, étant donné la
censure de la presse. L’Amiral Darlan, président du Conseil , autoritaire et
paranoïaque fut le premier à faire du SCT un auxiliaire précieux des forces de
police ; comprenant très rapidement que l’efficacité d’une telle activité
reposait sur l’instauration d’un secret rigoureux, il multiplia les circulaires
pour menacer de sanctions les plus lourdes les fonctionnaires qui évoqueraient
l’existence d’une telle activité. Les dirigeants des PTT, contraints de collaborer
à ces interceptions, firent de même auprès de leurs troupes guère
enthousiasmées par cette nouvelle contrainte. A la fin de l’année 1941, les
préfets communiquaient le fichier des personnes qu’ils voulaient faire
surveiller, le gouvernement en faisait autant, chaque espion du SCT
interceptait en moyenne 150 lettres par jour. Régulièrement les
« affaires » découvertes étaient communiquées aux services de police.
Il pouvait s’agir de délits de droit commun, marché noir, avortements, d’opinions
révélant une sensibilité communiste ou gaulliste, de réfugiés juifs. Bien
entendu, il n’était jamais fait mention de l’origine de ces interceptions qui
étaient qualifiées pudiquement de l’expression « de source sûre ». C’est ainsi que la police dont les effectifs
et les moyens étaient en forte croissance, obtinrent des résultats notables
dans la chasse aux ennemis de « l’ordre nouveau ». A ce moment-là,
beaucoup de victimes de la répression commencèrent à avoir l’impression diffuse
d’avoir été dénoncées ; se constitue ainsi la légende d’une armée de
dénonciateurs, voisins ou concierges, en liaison avec la police et les
Allemands. De fait, c’était l’indiscrétion d’une lettre qu’on croyait
confidentielle, une mention imprudente dans une conversation téléphonique qui
précipitait la catastrophe.
Création du ficher S par Bousquet.
A la tête du gouvernement en avril 1942, Laval nomme
René Bousquet , secrétaire général pour la police ; l’homme, encore jeune,
a déjà une lourde expérience des activités de police, de la gestion des
fichiers et des interceptions. Il a travaillé pour plusieurs ministres de
l’Intérieur de la IIIe République.
Très rapidement Bousquet donne une ampleur unique aux
interceptions postales et téléphoniques. Il obtient de Laval que le SCT soit
directement rattaché au ministère de l’Intérieur alors qu’il était
traditionnellement rattaché au ministère de l’Armée. Il peut alors utiliser
cette activité sans contrainte, s’en servant même pour surveiller commissaires
et policiers qui seraient tentés de trahir. Expert des fichiers, il réussit à
convaincre Laval de créer un nouveau fichier, très sélectif, dans lequel ne
seraient présents que les individus constituant un danger réel pour le
gouvernement français de Vichy. Et de donner un nom à ce fichier, « Fichier
S » comme sûreté de l’état. Chaque personne fichée S voit son courrier et
son téléphone systématiquement contrôlé ; c’est le même fichier S qui est
aujourd’hui utilisé, représentant 20000 suspects dont beaucoup d’islamistes
radicalisés.
Des dégâts difficiles à évaluer.
Combien
d’arrestations, combien de déportations peuvent être imputées aux interceptions
postales et téléphoniques de Vichy ? La réponse est difficile, en lisant
les comptes rendus du SCT par département, on se rend compte que les préfets
mentionnent une cinquantaine d’affaires en cours par mois.
Beaucoup
d’archives de cette activité honteuse ont été détruites mais il en reste
suffisamment pour être persuadé que le Service des Contrôles Techniques,
surtout à partir de 1942, a joué un rôle de premier plan dans la répression de
la Résistance et dans l’arrestation des juifs. Pire encore, les Allemands ont
laissé le régime de Pétain exercer ce contrôle parce qu’ils recevaient
régulièrement le résultat de ces interventions. De la même manière, ils
suivaient les procédures judiciaires, assistaient parfois aux interrogatoires
et n’hésitaient pas à rentrer dans les prisons françaises pour s’emparer de
détenus qu’ils considéraient comme des « ennemis de l’Allemagne ».
Une fin qui n’en est pas une.
A la
Libération, les autorités ont emprisonné trois dirigeants du SCT
particulièrement compromis avec Laval. Le reste du personnel a continué son
travail pour le nouveau gouvernement qui lui a donné l’ordre de s’intéresser à
une « cinquième colonne nazie » et aux communistes. De nombreuses
nouvelles embauches ont été faites. Les dirigeants collaborateurs n’ont pas été
inculpés et ont retrouvé la liberté car la tenue d’un procès aurait eu pour
conséquence la levée du secret sur une activité que la France libre considérait
comme essentielle pour garantir l’ordre républicain.
En 1946, les
restrictions budgétaires entrainèrent des licenciements massifs dans cette
activité qui avait perdu une grande partie de sa raison d’être. Il faudra
attendre la guerre d’Algérie et la volonté de de Gaulle de surveiller au plus
près l’activité des partisans de l’Algérie française et celle du FLN pour que
Debré installe le nom de Groupement interministériel de Contrôle, une activité
d’écoutes téléphoniques conséquente.
Le GIC se retrouvera
au cœur de plusieurs scandales de la Ve République et sera instrumentalisé par
François Mitterand pour écouter des centaines de personnalités.
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