Les années noires des
correspondances entre Français
A
travers l’étude du Service des contrôles techniques, un organe ultrasecret de
surveillance pour identifier les dissidents, repérer les ennemis d’Etat et
faire la chasse aux juifs dès 1940, Antoine Lefébure restitue une histoire
tragique de la France de Vichy.
LE MONDE | 09.04.2018 à 16h20 • Mis à jour
le 09.04.2018 à 16h57 |Par Antoine
Flandrin
Livre. Au
lendemain de l’installation de l’Etat français à Vichy, le 10 juillet
1940, le maréchal Pétain, qui dispose des pleins pouvoirs, demande au Service
des contrôles techniques (SCT) de lui rapporter ce que les Français disent et
écrivent sur lui. Il décide donc de séparer le SCT du ministère de la guerre et
d’en faire un organe ultrasecret de surveillance pour identifier les
dissidents, repérer les ennemis d’Etat et faire la chasse aux juifs.
Cette
arme redoutable que fut le SCT, Antoine Lefébure la connaît bien :
en 1993, il avait publié Les Conversations secrètes des Français
sous l’Occupation, chez Plon. Vingt-cinq ans plus tard, il s’est
replongé dans le sujet après que le gouvernement de François Hollande eut
décidé, en décembre 2015, d’ouvrir aux chercheurs l’ensemble des archives
les plus secrètes de la seconde guerre mondiale.
Lettres de condamnés à mort
L’ouvrage
qui ressort aujourd’hui chez Tallandier est donc une version considérablement
remaniée : l’auteur, spécialiste de l’histoire des technologies de
communication, dit avoir trié plus de trois cent mille lettres et interceptions
téléphoniques produites entre 1937 et 1945. Finalement, il a porté son
attention sur trente mille d’entre elles faisant écho aux événements tragiques
de la période.
Parmi
celles-ci, une lettre d’un père expliquant à une parente les motivations de son
fils qui a choisi de rejoindre la Légion tricolore aux côtés des
Allemands ; une conversation téléphonique entre deux Marseillais sur des
actes de résistance qui ne se définissent pas encore comme tels ou encore des
lettres de condamnés à mort, victimes de la répression du régime de Vichy.
Antoine
Lefébure dit n’avoir identifié qu’un nombre très limité de lettres de
dénonciation. Les arrestations de juifs et de résistants « n’étaient
la plupart du temps que les conséquences de l’activité sinistre des “contrôles
techniques” », soutient l’auteur, qui décrit bien les rouages
du SCT,« machine de guerre » dirigée d’une main de fer
par l’amiral Darlan, puis par René Bousquet, « grand organisateur
du système des fichiers et d’interceptions ».
Chronologie approximative
S’il
restitue la France des années noires dans sa complexité, l’ouvrage manque, en
revanche, de clarté. Après avoir consacré un chapitre beaucoup trop long à
l’interception des correspondances françaises depuis Louis XIII, l’auteur
plonge dans l’étude de l’écoute des Français après 1940, sans analyser les
points de convergence et de rupture en matière de surveillance entre la IIIe République
et le régime de Vichy.
De
même, certains découpages chronologiques sont opérés sans grand souci de
rigueur : en témoigne le troisième chapitre, consacré à l’« ère
Darlan », que l’auteur situe un peu trop facilement entre 1939 et 1942.
Enfin, les documents présentés sont trop souvent reproduits sans commentaires
pour éclairer le lecteur. Ils ne servent donc qu’à illustrer les propos de
l’auteur, alors qu’il y aurait tant à dire sur leurs contenus.
« Conversations secrètes sous
l’occupation », d’Antoine Lefébure, Tallandier, 384 pages,
22,50 euros.
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