lundi 16 octobre 2017

La Bnf réimprime le roman national

Des livres rares ou épuisés de Michelet, Renan, Balzac, Guizot, Jaurès... refont surface sur e-book, grâce à la Bibliothèque nationale de France.



«  C'était l'époque du gras. La bourgeoisie avait du ventre, et la jeunesse ne trouvait pas de railleries assez aiguës pour caractériser cette graisse, amie de la prudence.  » C'était quand ? Sous Louis-Philippe. L'auteur ? Jules François Félix Husson, dit Champfleury (1821-1889), natif de Laon, la bouche rentrée et le menton proéminent comme Polichinelle. Vous ne le connaissez pas ? Normal, on a oublié cet intime de Baudelaire et amoureux des chats, qui finit conservateur du Musée national de la céramique, à Sèvres. Pourtant, son Histoire de la caricature moderne, en 5 volumes, est un chef-d'œuvre, son portrait de Daumier, un morceau d'anthologie.
Mais comment la lire ? Sauf à faire la queue au comptoir des prêts de la Bibliothèque nationale de France, elle était jusqu'ici difficile à trouver. Cette rareté était devenue un plat de bibliophiles, dégusté entre initiés. Mais c'était hier. Service public oblige, la Bibliothèque nationale de France en a fait un e-book : il suffit de la télécharger.
Ainsi, sous la houlette de l'historien Antoine Lefébure, cent livres majeurs des années 1820-1920, épuisés depuis des lustres, bénéficient d'une nouvelle jeunesse. Jaurès, Balzac, Renan, des noms connus, et d'autres beaucoup moins. Cent témoins de ce que fut, au XIXe siècle, la passion de l'Histoire. Car, ne l'oublions pas, c'est sous la Restauration, et surtout sous l'Empire puis la IIIe République, que s'élabore notre «  récit national  ».
Dès 1820, l'État se préoccupe d'organiser une «  manufacture du passé  », pour reprendre les propos de François Hartog et Jacques Revel (Les Usages politiques du passé, éditions EHESS, 2001). De jeunes savants inspirés comme Henri Martin, Victor Duruy, Augustin Thierry, Edgar Quinet, François Guizot se plongent dans les archives et rappellent les morts pour «  inventer  » une France une et glorieuse.
Amédée Thierry, l'auteur de L'Histoire des Gaulois , inaugure la mode des icônes en nous donnant un ancêtre, Vercingétorix, figure inoubliable du perdant magnifique. On «  lance  » Clovis, les Rois fainéants, Jeanne d'Arc... On consolide les mythes, à commencer par celui de Napoléon (relire l'Histoire du XIXe siècle, de Michelet). On en forge aussi de nouveaux. Charles-Victor Langlois, l'auteur de Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs, lui aussi devenu e-book, pose les fondements du mystère des Templiers.
En fait, tout le monde veut raconter son «  histoire  ». L'époque est aux Mémoires, aux pièces et aux romans historiques. Il faut redécouvrir les Mémoires d'un journaliste, d'Hippolyte de Villemessant (1810-1879), évocation savoureuse et parfois acerbe des journaux et des mœurs sous l'Empire. Inimitiés, chantages, bons repas, VIP (Mérimée, Dumas), tout y est. De même que, dans les Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même , rédigés après la déportation en Nouvelle-Calédonie de la pasionaria de la Commune, les rêves et drames de la gauche extrême.

Évidemment, certains titres font sourire. Ainsi, dans Comment trouver un mari après la guerre, la féministe Marie Laparcerie explique en 1916 aux jeunes filles comment chouchouter les poilus survivants pour pouvoir fonder une famille. Un autre temps ? Oui. D'ailleurs, dès les années 1930, l'école des Annales invente une «  nouvelle histoire  », moins exaltée, moins partiale, moins incarnée peut-être. Plus sage ?

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