Quand Vichy espionnait les
Français
Les archives du service chargé de la surveillance de la population montrent
que le zèle des fonctionnaires suppléait à ses techniques plutôt rudimentaires.
PAR JEAN GUISNEL
Publié
le 28/04/2018 à 11:00 | Le Point.fr
René
Bousquet a pris le contrôle du SCT qui se développe et auquel il
« consacre tous ses efforts à perfectionner un outil policier dont la
composante technique est aussi importante que l’organisation
administrative », écrit l'auteur. Image d'illustration.
© AFP/
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Le journaliste et historien spécialiste des systèmes de communication
Antoine Lefébure fouille et analyse depuis des années un outil de surveillance
exceptionnel de la population mis en œuvre durant la Deuxième Guerre
mondiale, le Service de contrôle technique (SCT). Il fonctionnait déjà sous la
IIIe République, pour espionner les correspondances postales et les
communications téléphoniques des Français, mais le régime de Vichy l'avait
étoffé.
Le service, qui
dépendait originellement du ministère de la Guerre, fut transféré à celui de
l'Intérieur. De 1940 jusqu'à la prise de contrôle de cette
organisation par les Allemands en 1944, ce sont plus de 5 000
fonctionnaires qui ont passé leurs journées à épier leurs concitoyens, mais pas
seulement : le régime de Vichy surveillait les communications allemandes,
tandis que les troupes d'occupation espionnaient tout le monde, d'abord dans la
zone occupée, puis également dans la zone libre, après son invasion en novembre
1942 !
La population, pas dupe,
ne se fait aucune illusion sur les violations du secret de la correspondance,
qui s'accompagnent, parfois, de vols dans les colis. Marthe, de Lyon,
écrit à ses parents le 5 mars 1940, dans un courrier évidemment
intercepté, pour protester contre les vols de tabac : « Que ces
messieurs les postiers lisent ma prose, je m'en frictionne les clavicules avec
des pattes de homard en éventail, mais qu'ils fauchent des paquets de trèfle,
j'en suis outrée. »
Surveillance générale
La chasse aux juifs
réfugiés dans la zone sud est une activité prioritaire pour le régime de Vichy.
Le SCT est d'une curiosité maladive, bien peu de suspects échappent à ses
regards. Un nom, une activité professionnelle, des relations sont autant
d'indices dont se saisit la froide mécanique de la surveillance. Les juifs
« identifiés sont étroitement surveillés, leurs correspondances
systématiquement ouvertes. Le censeur note soigneusement les nom et adresse des
destinataires, ce qui permet à la police d'identifier ses futures
proies », note l'auteur. Anonymes et personnalités, tout le monde est
surveillé.
Ayant eu accès aux
archives déclassifiées par François
Hollande en 2015, Lefébure rappelle le rôle de René
Bousquet qui est, à la fin de 1942, avec Pierre
Laval, « l'homme le plus puissant de France ». Il a pris
le contrôle du SCT qui se développe et auquel il « consacre tous ses
efforts à perfectionner un outil policier dont la composante technique est
aussi importante que l'organisation administrative ».
Raison d'État
Antoine Lefébure, Conversations secrètes sous l’Occupation,
Tallandier, 380 pages, 22,50 euros.
Un ancien fonctionnaire du service de contrôle technique a expliqué à
l'auteur sa perception de ces actions illégales, accomplies au nom de la raison
d'État : « Il s'agissait d'informer les plus hautes autorités du
pays, confronté à une situation grave. Dans ces cas-là, l'État est bien obligé
de ne pas respecter la loi, y compris celle protégeant le secret postal. Les
intérêts supérieurs du pays, sa sécurité sont menacés et l'État doit prendre
toutes les mesures pour ne pas être pris par surprise. C'est tout simplement de
la légitime défense. Dans ce genre de circonstances, personne ne peut être
choqué de voir les serviteurs de l'État de salir les mains. »
Après la Libération,
le service resurgira de ses cendres et il poursuivra ses activités
« certes de manière plus limitée mais avec le même souci de garder le
secret le plus complet ».
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