jeudi 5 avril 2018

lundi 26 mars 2018

Création du fichier "S" en 1942


L’Occupation, derniers scoops découverts aux Archives par Antoine Lefébure.

Pendant toute la période de l’Occupation, le régime de Vichy a utilisé une gigantesque bureaucratie secrète chargée d’ouvrir le courrier et d’écouter les conversations  téléphoniques des Français de la zone libre.
Un secret bien gardé dévoilé aujourd’hui dans le livre : Conversations secrètes sous l’Occupation (Tallandier, mars 2018), grâce à l’ouverture des archives les plus secrètes de la période 1940-1945. Jusqu’à récemment, il n’était fait que de brèves  mentions d’un obscur organisme de sondage de l’opinion publique nommé très banalement Service des Contrôles Techniques (SCT). Nous savons que sous ce sigle travaillait dans chaque préfecture près de 5000 fonctionnaires souvent cachés dans les postes ou les centraux téléphoniques.
Une tradition bien établie
Reprenant l’exemple royal du « Cabinet Noir », dès la guerre de 1914-1918, le gouvernement de l’époque  a soumis la correspondance postale à un contrôle strict et ce, afin de prévenir les indiscrétions des soldats au front, de surveiller leur moral et d’intercepter des messages suspects de services d’espionnage étrangers. Le « Contrôle postal » s’appliquait au courrier qui était dûment tamponné « ouvert par le contrôle » et il concernait aussi les télégrammes et les communications téléphoniques.
C’est tout naturellement que cet organisme reprit du service en 1939, à l’ouverture des hostilités contre l’Allemagne. Après la défaite et l’Armistice, le Maréchal Pétain décida de maintenir et de renforcer le SCT afin de surveiller les agissements de la population et les variations d’une opinion publique qui ne s’exprimait plus, étant donné la censure de la presse. L’Amiral Darlan, président du Conseil , autoritaire et paranoïaque fut le premier à faire du SCT un auxiliaire précieux des forces de police ; comprenant très rapidement que l’efficacité d’une telle activité reposait sur l’instauration d’un secret rigoureux, il multiplia les circulaires pour menacer de sanctions les plus lourdes les fonctionnaires qui évoqueraient l’existence d’une telle activité. Les dirigeants des PTT, contraints de collaborer à ces interceptions, firent de même auprès de leurs troupes guère enthousiasmées par cette nouvelle contrainte. A la fin de l’année 1941, les préfets communiquaient le fichier des personnes qu’ils voulaient faire surveiller, le gouvernement en faisait autant, chaque espion du SCT interceptait en moyenne 150 lettres par jour. Régulièrement les « affaires » découvertes étaient communiquées aux services de police. Il pouvait s’agir de délits de droit commun, marché noir, avortements, d’opinions révélant une sensibilité communiste ou gaulliste, de réfugiés juifs. Bien entendu, il n’était jamais fait mention de l’origine de ces interceptions qui étaient qualifiées pudiquement de l’expression « de source sûre ».  C’est ainsi que la police dont les effectifs et les moyens étaient en forte croissance, obtinrent des résultats notables dans la chasse aux ennemis de « l’ordre nouveau ». A ce moment-là, beaucoup de victimes de la répression commencèrent à avoir l’impression diffuse d’avoir été dénoncées ; se constitue ainsi la légende d’une armée de dénonciateurs, voisins ou concierges, en liaison avec la police et les Allemands. De fait, c’était l’indiscrétion d’une lettre qu’on croyait confidentielle, une mention imprudente dans une conversation téléphonique qui précipitait la catastrophe.



Création du ficher S par Bousquet.
A la tête du gouvernement en avril 1942, Laval nomme René Bousquet , secrétaire général pour la police ; l’homme, encore jeune, a déjà une lourde expérience des activités de police, de la gestion des fichiers et des interceptions. Il a travaillé pour plusieurs ministres de l’Intérieur de la IIIe République.
Très rapidement Bousquet donne une ampleur unique aux interceptions postales et téléphoniques. Il obtient de Laval que le SCT soit directement rattaché au ministère de l’Intérieur alors qu’il était traditionnellement rattaché au ministère de l’Armée. Il peut alors utiliser cette activité sans contrainte, s’en servant même pour surveiller commissaires et policiers qui seraient tentés de trahir. Expert des fichiers, il réussit à convaincre Laval de créer un nouveau fichier, très sélectif, dans lequel ne seraient présents que les individus constituant un danger réel pour le gouvernement français de Vichy. Et de donner un nom à ce fichier, « Fichier S » comme sûreté de l’état. Chaque personne fichée S voit son courrier et son téléphone systématiquement contrôlé ; c’est le même fichier S qui est aujourd’hui utilisé, représentant 20000 suspects dont beaucoup d’islamistes radicalisés.

Des dégâts difficiles à évaluer.
Combien d’arrestations, combien de déportations peuvent être imputées aux interceptions postales et téléphoniques de Vichy ? La réponse est difficile, en lisant les comptes rendus du SCT par département, on se rend compte que les préfets mentionnent une cinquantaine d’affaires en cours par mois.
Beaucoup d’archives de cette activité honteuse ont été détruites mais il en reste suffisamment pour être persuadé que le Service des Contrôles Techniques, surtout à partir de 1942, a joué un rôle de premier plan dans la répression de la Résistance et dans l’arrestation des juifs. Pire encore, les Allemands ont laissé le régime de Pétain exercer ce contrôle parce qu’ils recevaient régulièrement le résultat de ces interventions. De la même manière, ils suivaient les procédures judiciaires, assistaient parfois aux interrogatoires et n’hésitaient pas à rentrer dans les prisons françaises pour s’emparer de détenus qu’ils considéraient comme des « ennemis de l’Allemagne ».

Une fin qui n’en est pas une.
A la Libération, les autorités ont emprisonné trois dirigeants du SCT particulièrement compromis avec Laval. Le reste du personnel a continué son travail pour le nouveau gouvernement qui lui a donné l’ordre de s’intéresser à une « cinquième colonne nazie » et aux communistes. De nombreuses nouvelles embauches ont été faites. Les dirigeants collaborateurs n’ont pas été inculpés et ont retrouvé la liberté car la tenue d’un procès aurait eu pour conséquence la levée du secret sur une activité que la France libre considérait comme essentielle pour garantir l’ordre républicain.
En 1946, les restrictions budgétaires entrainèrent des licenciements massifs dans cette activité qui avait perdu une grande partie de sa raison d’être. Il faudra attendre la guerre d’Algérie et la volonté de de Gaulle de surveiller au plus près l’activité des partisans de l’Algérie française et celle du FLN pour que Debré installe le nom de Groupement interministériel de Contrôle, une activité d’écoutes téléphoniques conséquente.
Le GIC se retrouvera au cœur de plusieurs scandales de la Ve République et sera instrumentalisé par François Mitterand pour écouter des centaines de personnalités.


L'invité du 12/13 Antoine Lefébure sur RCJ

mercredi 25 octobre 2017

La BnF est accessible de chez soi.


La Croix, 24/10/2017, Frédéric Mounier.
Il est des vieilles dames en pleine forme. Ainsi, la Bibliothèque nationale de France (BnF). La vénérable institution avance à pas de géant sur les chemins de la numérisation et de la mise à la disposition gratuite et facile de ses trésors. En témoignent plusieurs initiatives récentes. Le coffret Écrire l’Histoire au XIXe siècle, disponible en librairie, propose, pour 35 €, un accès immédiat et illimité à 100 livres publiés entre 1820 et 1920. Balzac, Tocqueville, Michelet, Dumas, Duruy, Seignobos, Lavisse et tant d’autres ressuscitent ainsi sur nos tablettes et liseuses. L’enjeu est de taille : plonger dans le bain de l’Histoire tel que les hommes et les femmes du XIXe siècle l’ont vécu.
Un « cercle vertueux »
Pour redonner vie à ces dizaines de milliers de pages, non rééditées à ce jour mais indispensables, Antoine Lefébure, directeur scientifique du projet, qui se définit lui-même comme un « historien lecteur », a réuni des chercheurs et des historiens, avec une simple question : « Que rééditeriez-vous qui n’est pas disponible ? » « La BnF ne leur avait jamais rien demandé ! » sourit-il aujourd’hui. Avec Frédéric Manfrin et Agnès Sandras, de la BnF, Antoine Lefébure a ainsi créé un « cercle vertueux » entre chercheurs, conservateurs, lecteurs et libraires.

Le résultat est savoureux. Mission chez les Touaregs de Fernand Foureau côtoie Les Habits noirs de Paul Féval ; les Mémoires du général Baron de Marbot voisinent avec les Mémoires sur les Cent-Jours de Benjamin Constant ; L’histoire de France racontée à mes petits-enfants de François Guizot se lit en compagnie de Au seuil de notre Histoire de Camille Jullian, etc. De quoi enchanter petits et grands historiens.
Une énorme machinerie
Nathalie Thouny, directrice de BnF Partenariats, dévoile l’énorme machinerie qui préside à la production de ce coffret. Pour numériser ces 100 livres, et plus largement les 3500 ouvrages désormais disponibles dans la boutique « BnF Collection eBooks », il lui a fallu « allier les compétences des conservateurs et des savoir-faire privés innovants ». Des PME françaises de pointe, notamment Syllabs, Immanens et Adoc, ont mis au point des systèmes performants de reconnaissance de caractères, de moteurs de recherche par mots-clés ou de traitement sémantique des contenus.
La BnF s’est également alliée à Apple qui a converti 10 000 titres en format Epub, lisibles sur tous supports, en échange de l’exclusivité de la diffusion durant un an. Ensuite, Decitre, Chapitre.com et les autres libraires en ligne bénéficient de cette manne. Laquelle ne tombe pas du ciel : les algorithmes ne suffisent pas à redonner vie à ces pages enfouies. Il faut des yeux, des esprits et des cœurs humains, de préférence historiens, et donc du temps. « Cette rencontre de deux mondes fonctionne parfaitement », se réjouit Nathalie Thouny, qui constate aussi que la fréquentation des salles de lecture sur le site de la BnF, comme autrefois, ne faiblit pas, au contraire. Lire la suite

lundi 16 octobre 2017

La Bnf réimprime le roman national

Des livres rares ou épuisés de Michelet, Renan, Balzac, Guizot, Jaurès... refont surface sur e-book, grâce à la Bibliothèque nationale de France.



«  C'était l'époque du gras. La bourgeoisie avait du ventre, et la jeunesse ne trouvait pas de railleries assez aiguës pour caractériser cette graisse, amie de la prudence.  » C'était quand ? Sous Louis-Philippe. L'auteur ? Jules François Félix Husson, dit Champfleury (1821-1889), natif de Laon, la bouche rentrée et le menton proéminent comme Polichinelle. Vous ne le connaissez pas ? Normal, on a oublié cet intime de Baudelaire et amoureux des chats, qui finit conservateur du Musée national de la céramique, à Sèvres. Pourtant, son Histoire de la caricature moderne, en 5 volumes, est un chef-d'œuvre, son portrait de Daumier, un morceau d'anthologie.
Mais comment la lire ? Sauf à faire la queue au comptoir des prêts de la Bibliothèque nationale de France, elle était jusqu'ici difficile à trouver. Cette rareté était devenue un plat de bibliophiles, dégusté entre initiés. Mais c'était hier. Service public oblige, la Bibliothèque nationale de France en a fait un e-book : il suffit de la télécharger.
Ainsi, sous la houlette de l'historien Antoine Lefébure, cent livres majeurs des années 1820-1920, épuisés depuis des lustres, bénéficient d'une nouvelle jeunesse. Jaurès, Balzac, Renan, des noms connus, et d'autres beaucoup moins. Cent témoins de ce que fut, au XIXe siècle, la passion de l'Histoire. Car, ne l'oublions pas, c'est sous la Restauration, et surtout sous l'Empire puis la IIIe République, que s'élabore notre «  récit national  ».
Dès 1820, l'État se préoccupe d'organiser une «  manufacture du passé  », pour reprendre les propos de François Hartog et Jacques Revel (Les Usages politiques du passé, éditions EHESS, 2001). De jeunes savants inspirés comme Henri Martin, Victor Duruy, Augustin Thierry, Edgar Quinet, François Guizot se plongent dans les archives et rappellent les morts pour «  inventer  » une France une et glorieuse.
Amédée Thierry, l'auteur de L'Histoire des Gaulois , inaugure la mode des icônes en nous donnant un ancêtre, Vercingétorix, figure inoubliable du perdant magnifique. On «  lance  » Clovis, les Rois fainéants, Jeanne d'Arc... On consolide les mythes, à commencer par celui de Napoléon (relire l'Histoire du XIXe siècle, de Michelet). On en forge aussi de nouveaux. Charles-Victor Langlois, l'auteur de Saint Louis, Philippe le Bel, les derniers Capétiens directs, lui aussi devenu e-book, pose les fondements du mystère des Templiers.
En fait, tout le monde veut raconter son «  histoire  ». L'époque est aux Mémoires, aux pièces et aux romans historiques. Il faut redécouvrir les Mémoires d'un journaliste, d'Hippolyte de Villemessant (1810-1879), évocation savoureuse et parfois acerbe des journaux et des mœurs sous l'Empire. Inimitiés, chantages, bons repas, VIP (Mérimée, Dumas), tout y est. De même que, dans les Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même , rédigés après la déportation en Nouvelle-Calédonie de la pasionaria de la Commune, les rêves et drames de la gauche extrême.

Évidemment, certains titres font sourire. Ainsi, dans Comment trouver un mari après la guerre, la féministe Marie Laparcerie explique en 1916 aux jeunes filles comment chouchouter les poilus survivants pour pouvoir fonder une famille. Un autre temps ? Oui. D'ailleurs, dès les années 1930, l'école des Annales invente une «  nouvelle histoire  », moins exaltée, moins partiale, moins incarnée peut-être. Plus sage ?

vendredi 18 novembre 2016

Chaque témoin compte

Quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015, j'ai décidé de collecter les témoignages des habitants de l'impasse Amelot, l'immeuble qui jouxte le Bataclan.
Parce que je suis historien avant tout, parce que je travaille avec l'IHTP, parce que j'ai la chance d'avoir un ami réalisateur qui m'a aidé dans cette tâche.
L'objectif : garder une trace de ce moment difficile partagé par le monde entier.
Dans la vidéo ci-dessous, nous expliquons Christian Delage, président de l'IHTP et moi-même l'importance historique de ce travail.



France Inter y consacre une journée le 13 avril 2016.

France info recueille ses témoignages et les diffuse lors de la commémoration du 13 novembre 2016.

mardi 6 octobre 2015

Les rendez-vous de l’histoire


Les Empires, tel est le thème cette année des Rendez-vous de l’histoire qui se tiennent à Blois du 8 au 11 octobre.
Mille intervenants, 400 débats et conférences vont attirer dans la ville plus de 40 000 personnes. Bernard Guetta préside l’édition 2015, Serge et Beate Klarsfeld seront les grands témoins.

Je traiterai, seul, d’une thématique dont l’importance me parait certaine « l’Empire mondial de la surveillance », le vendredi 9 octobre de 13h45 à 15h00, dans l’amphi Denis Papin de l’INSA.

Oui l’espionnage électronique de la NSA n’est que l’étape ultime d’un principe qui est né avec l’état au XIIe siècle. Des registres de surveillance de l’Inquisition Catholique à la surveillance généralisée de la Terreur, en passant par l’ouverture du courrier par les rois, les précédents ne manquent pas. Le lendemain à la bibliothèque de Vineuil, je ferai le bilan de ce qui est devenu un évènement historique, la révélation par E. Snowden de l’ampleur de l’espionnage des Etats-Unis.

Par ailleurs, les visiteurs auront  le choix entre des tables rondes et des conférences sur ces belles problématiques des Empires. Seront même traités l’empire de la communication et celui de la publicité.